Artistes

Musée à l’air libre Roland Vincent

Roland Vincent

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Textes, anecdotes, citations

Ces textes sont des extraits de conversations, échanges, réflexions de Roland, recueillies par Bernard sur trois décennies. Elles permettent le mieux saisir la personnalité de l’artiste.

1991 – Philosophe en maçonnerie

Sur l’échafaudage, Roland.

Roland exerce le métier de philosophe en maçonnerie. Ce diplôme n’est pas reconnu. Quand il arrive sur le chantier vers 10h il dit : « je cherchais des vers pour mon geai » en guise de bonjour. Il ne court pas après le client d’ailleurs Roland ne court jamais. Celui qui me cherche il faut qu’il me trouve, car il n’a pas le téléphone, mais on le trouve au cimetière où il fait les caveaux. Les caveaux, cette philosophie au pas tranquille, vient peut-être de là. 

Roland exerce le métier de chevalier en maçonnerie. Il aime la pierre au point de la sculpter à ses moments perdus… Perdus pour les chantiers en attente. Aimer le granit, c’est bien le moins que puisse aimer un maçon de creuse, mais par les temps bétons et barbares qui courent, cet amour de la belle ouvrage est le combat de la truelle contre le traître, du Bien contre Bouygues. Roland dit : « le parpaing, c’est le déshonneur du maçon ».

1995, 31 juillet – Ça, c’est de la pierre

Roland, renonçant à ses titres nobiliaires – du Mont-de-Sardent -, fait humblement suivre son nom d’un expéditif « maçon » sur la page de cahier qui lui tient lieu de papier à en-tête. Par cet épithète définitivement roturier, il avoue avoir sombré dans le vulgaire parpaing et la brique tout à fait creuse. Mais sang bleu ne saurait mentir ; au royaume de Maçonnerie, Roland est roi. La truelle est son sceptre, l’échafaudage son trône.

La semaine durant Roland vaque ainsi aux affaires du royaume, mais le dimanche il s’adonne à la sculpture, comme d’autres ont fait de la serrurerie. Tel est son bon plaisir. Sculpteur du dimanche… On n’a guère de peine à redouter le pire, cet amateurisme satisfait et méritant, donc médiocre, approximatif et navrant, qui pousse le public à la compassion et l’art aux oubliettes. On jugera sur pièces, que Roland a aligné sur le muret devant sa maison, avec cette pancarte « statues à vendre », pour que l’hypothétique promeneur entre le Mont-de-Sardent et le Masthubert ne puisse prendre cette œuvre en plein air pour une collection de nains de jardin tristes.

C’est au pied du mur qu’on voit le maçon et au pied du muret qu’on voit le sculpteur (voir photo ?). Nous l’y avons trouvé en cette fin de juillet torride, avec Kraly* et Mireille** qui veut transformer un ancien garage en atelier de sculpture… Entre artistes, on discute :
Mireille : vous ne travaillez pas le calcaire ?
Roland : ici c’est le granit. Oui le calcaire, c’est… C’est du calcaire, mais ça (il pose sa main sur une sculpture), ça, c’est de la pierre.
Bernard : et tu les vends ?
Roland : faut que tu voies avec la patronne. Mais le plus difficile c’est pas la vente, c’est de trouver un acheteur qui paie.
Mireille, qui cherche en vain un coin d’atelier : et où est-ce que vous travaillez ?
Roland : ben, madame, à l’ombre !

* Professeure d’art plastiques à la faculté
** Plasticienne

1997, 8 novembre –

Aujourd’hui quatre têtes. Il manque Fouquier-Tinville. Nous sommes là, Roland et moi, sur la photo. Sous des airs débraillés, des façons sans manières et nos empilements de pulls pouilleux, nous prenons la pause, les mains dans les poches, comme s’il fallait les cacher dès que le travail ne les occupe plus. Prendre la pose, à la pause. Regarder les têtes avec Roland. Écouter de qu’il dit de la pierre, et plus encore ce qu’il ne dit pas et qu’il me laisse, le mégot éteint, patient, deviner. Non, pas deviner, savoir. Les paroles qui font bouger le mégot pèsent autant que l’écrasant granit. Il dit : « c’est la pierre qui commande, c’est la tête qui taille » et autres frémissements de mégots de la même eau, coupée de Ricard, non, de Berger, en haut de l’escalier. Ce samedi, les têtes tournent. 

2005, 11 avril – Le prix c’est donné

J’achète deux pierres à Roland. Deux de plus. L’opération, une addition donc, dure la matinée entière. J’arrive à la fraîche pour le trouver, mais il faut tenir jusqu’à l’apéro. Il rallumera plusieurs fois son mégot dont l’honneur, je crois, est de s’obstiner à durer. On fera le tour du jardin, de ce qui dans le jardin attend la récolte. Je dois refuser : une cuve en aluminium massive des premiers lave-linge chauffés au gaz, diverses chutes de treillis soudé, un crucifix rouillé, un socle de ceintreuse en fonte pour les bandages de roues de charrette. Je prendrai un crochet pour remonter le seau tombé au fond du puits. Ce jardin est lui-même un puits à ferraille sans fond et une œuvre d’art.

Je lui demande le prix des statues. « Le prix c’est donné », dit-il.. Donné, soit, encore faudrait-il qu’il me le donne, ce prix donné. Mais Roland est dans l’embarras car d’habitude il assène un définitif « faudrait voir avec la patronne » qui lui évite le commercial, le rabais bas, la misérable intendance, mais ce matin Claudine n’est pas là pour tenir l’épicerie. Il finit par lâcher : « 750 chacune ». Il compte en francs, sans le dire, pas en euros. Il faut savoir sans le demander. Je sais. Il sait que je sais. Alors…

Devant le rosé (frais) il sort un sac à prospectus, cartons de vernissage, invitations, lieux d’exposition, brochures diverses : son book, en vrac. Ne prend-il pas la grosse tête ? Il dit : « je vais pas m’emmerder avec les complications ». Sa renommée cesse où commencent les honneurs.

Nous poursuivons dans ce qui fut peut-être un garage et qu’il est resté mais pour les « baboyes » : foutoir pour trucs bidouillants extrême, matières premières de la création récréative, lumineuse, et même franchement allumée. Qu’il fil-de-ferrise, broie, empile, torde, désoude, triture, explose, colle, démembre, ventile, ressuscite. Hors de l’antre dans l’allée trois voitures dont deux épaves achèvent de cabosser un décor hallucinant, tranquille, et rouillé, où le geai converse avec l’autruche monumentale en pièces des machines agricoles, somme toute ici banale d’un ami agrisculpteur, paysan poète du fer à souder. Le mégot a fait sa matinée, il est éteint, tout va bien. 

2023, mi-mai – Réflexions

Chez Claudine et Roland, quelques réflexions de Roland :

L’art

« Si je ne sculpte plus ? C’est bien ce qui va arriver. Moi, faut que je crée. L’art est un genre de nourriture. Moi ça me sert à me nourrir. Déjà, ça aide à vivre. »

« Les gargouilles des cathédrales ça m’a inspiré. Ça a de la gueule. C’est en harmonie avec la nature. La nature c’est pas rectiligne. Un pays plat c’est pas beau ; enfin si t’es belge, ça te plaît. »

Le public

« Les gens achètent des poireaux, pas des pierres. »

« J’exposais à Chéniers, un gars parlait bas mais je l’ai entendu. Il disait : « c’est y affreux ça, même mon chien en prendrait peur. C’est y moche ton machin là ». Il faut le penser, mais il ne faut pas le dire. Je me suis pas fâché. Tu montes en température, surtout après un p’tit canon. Si on me pousse trop, je monte. »

Bernard : tu es né un 11 septembre, comme les attentats à New-York. Tu vas rester dans l’Histoire.
Roland : j’y suis déjà dans l’Histoire, je suis au musée.

L’argent

« Le fric pour moi c’est pas grand chose. In en faut mais bon… Plus tu vends cher, plus tu vas dépenser. Je prendrais des gars pour sculpter, toujours plus gros, toujours plus gros, toujours plus gros. Donc je ne veux pas être riche. Je veux dormir tranquille. Chui presque dans les pauvres, j’ai pas un train de vie formidable, mais on s’arrange. C’est pourquoi la récupération fait partie des meubles. »

Claudine rentre du jardin. Je lui demande ce qu’elle pense du travail de Roland. Elle dit : « c’est vrai qu’il y passe tout son temps et qu’il fait rien du tout. Il veut aller nul part, on sort jamais. ». Et bien c’est faux, car il est venu à Nouallet… 

 


Références

Pour en savoir plus sur Roland Vincent :

Le « Musée de l’étrange » : Musée et jardins Cécile Sabourdy à Vicq-sur-Breuilh (87260) qui expose des œuvres de Roland – Site internet



Noël Dumaine

Acteur, photographe, et surtout ami, il ne se considère pas comme un artiste, tout au plus comme un « fabricant d’images ». Tous les photomontages et l’infographie du musée constituent sa participation active et bénévole au musée. Vous pouvez découvrir son travail sur ce site internet et sur Instagram (noel.dumaine).



Bernard Lecointe

Bien qu’il s’en défende, par une curieuse humilité pour un homme qui érige des menhirs et bâtit sans relâche des bâtiments en granit éternel, Bernard est bien un artiste de cet espace, de ce Musée à l’air libre. Il en est la personne source, l’architecte et l’ouvrier.

Transmettre… Comme premier métier, professeur. Deuxième vocation : maçon. Bernard lègue au temps des constructions minutieuses et/ou monumentales et souvent délirantes.