Problème : monopole cartographique

Toujours et partout, une même carte du monde…

Le mystère de la carte unique dans un monde supposé de « libre concurrence »

Monopole ?

Et oui… Monopole cartographique !

Si vous voulez acheter une carte du monde (en librairie, magasin, sur internet), on vous proposera sûrement quelque chose comme ça :

Ou comme ça (images provenant d’une recherche internet avec le mot « planisphère ») :

À quelques détails près, c’est toujours la même carte, en fait, la même vision du monde : le Sud vers le bas, les frontières, des couleurs pour les pays, une projection qui ne respecte absolument pas les surfaces, éventuellement des drapeaux… La carte unique.

On est tellement habitué·e·s que ça ne choque personne que le Groënland soit représenté aussi grand que l’Amérique du Sud, alors qu’il est huit fois plus petit.

On est tellement habitué·e·s que ça ne choque personne que les pays exploités et envahis militairement, pillés de leurs ressources soient, comme par hasard, représentés en-dessous des pays qui les dominent, écrasés en réalité et aussi sur la carte.

On est tellement habitué·e·s que ça ne choque personne qu’on étale des drapeaux, fierté des nationalismes.

On est tellement habitué·e·s que ça ne choque personne que l’Europe soit représentée aussi vaste que l’Afrique, alors qu’elle est trois fois moins grande.

On est tellement habitué·e·s…  Depuis tout·e·s petit·e·s… Beaucoup d’enfants à l’école, quand on leur demande de citer un pays, disent « l’Afrique »… Comment est-ce possible ? L’Afrique, le continent qui compte le plus de pays (entre 54 et 74), qui représente 25% des terres émergées !

Si vous avez déjà vu une carte du monde radicalement différente, c’est probablement que vous êtes passionné·e de cartographie, ou que vous avez rencontré quelqu’un·e qui l’est… Si vous arrivez sur ce site, vous faites déjà partie d’une minorité éclairée en carto !

Moi j’ai découvert la planisphère de Gérard Onesta récemment, en 2010, sur le mur de la cuisine d’une colocation de décroissant·e·s au fin fond de la Creuse… Je n’ai découvert une autre vision de la planète Terre qu’à l’âge de 28 ans. Toute ma vie, j’ai été abreuvée par une carte, une vision du monde, la même que vous connaissez, la même tout le temps, partout : à l’école, chez les ami·e·s et la famille, chez mes camarades militant·e·s, sur tous les objets où il y a une carte du monde : vêtements, boîtes d’aliments, logos, tags, autocollants, sites internet, cartes du monde à gratter, puzzles, objets de décoration, souvenirs touristiques, etc…

Comment peut se former mon esprit critique si je suis bombardé d’une seule opinion, d’une seule façon de voir les choses, à l’école et ailleurs ? Comment puis-je seulement croire qu’il existe d’autres façons d’appréhender la vie, quand il y a un monopole cartographique ? Comment ne pas croire que le monde C’EST ce qui est représenté là-dessus, si je n’ai pas d’autres représentations pour comparer ?

Pendant 28 ans, une seule représentation du monde, toujours la même. Alors qu’il en existe plein d’autres…

D’abord : c’est triste et ça ne favorise ni la connaissance ni la libre pensée.

Ensuite : ce serait pas si grave si cette carte n’était pas aussi dangereuse

Enfin : un tel monopole, est-ce vraiment un hasard ?

 

 


Toujours et partout, une même carte du monde, tellement fausse et impérialiste…

Les planisphères ne poussent pas dans les arbres !

Les planisphères ne tombent pas du ciel : elle sont le résultat d’heures de travail réalisées par de vraies personnes. Ces personnes font des choix (ou plus probablement obéissent à leurs employeurs qui ont fait ces choix) et décident de représenter la planète comme ceci ou comme cela. Choisir de mettre le Nord en haut n’est pas « neutre », ou « automatique », ou « objectif ». C’est un choix politique, conscient, subjectif. Ce n’est pas parce que c’est devenu une habitude que ça serait devenu une vérité…

Messages subliminaux…

Une image vaut mille mots : toute planisphère véhicule des messages. Ce sont des messages inconscients, puisqu’ils ne sont pas écrits en toutes lettres. Et c’est là que c’est dangereux et insidieux : c’est plus difficile  de dénoncer un message subliminal raciste, par exemple, qu’un message écrit raciste…

Voici donc ma petite traduction en mots des messages subliminaux de la planisphère que l’on voit partout :

  • L’important, c’est les pays et leurs frontières (nationalismes)
  • Les Pays du Nord sont de grands pays au-dessus des autres (impérialisme)
  • La France est au centre du monde (égocentrisme)
  • Les africain·e·s sont en-dessous de nous (racisme)

On est bien loin des idées d’égalité et de fraternité (entre frères) et sororité (entre sœurs) ? Bien loin des « valeurs de la République »…

Car représenter graphiquement le continent Africain en tout petit, sous l’Europe, c’est dire que les africain·e·s sont en petit, en-dessous de nous. Ce message graphique peut amener à penser, ou trouver « normal » de penser : « Les africain·e·s sont en-dessous de nous, des inférieur·e·s quoi… ». Ça a l’air de couler de source, ça glisse tout seul… Cette carte invite selon moi aux mécaniques racistes, à la discrimination, au néo-colonialisme, parce qu’elle suggère, par sa manière de représenter les choses, une hiérarchie, une inégalité entre les êtres humains. Dans cette vision, les pays artificiellement agrandis et placés en haut de la carte sont les mêmes qui s’autoproclament « développés », définissant les autres comme des « sous-développés » (ceux placés en bas de la carte, en-dessous du reste et en petit).

Ce qui en plus n’a aucun sens, car, comme le dit Angèle Quesnel, 9 ans et demi : « C’est bête parce qu’on vient toutes et tous de là-bas, en fait ! » (l’Afrique est le berceau de toute l’humanité).

La planisphère que nous connaissons et qui est vendue partout « naturalise » en quelque sorte une vision culturelle dangereuse qui affirme l’inégalité entre les êtres humains.

Planisphère de la domination

Comment appeler cette planisphère que l’on voit partout et qui invite à se croire au-dessus ou en-dessous des autres ? C’est important de nommer, de qualifier les choses pour pouvoir les changer.

Planisphère de la compétition ? Planisphère des mâles blancs ? Planisphère capitaliste ? Planisphère de la domination ? Européo-centrée ? Impérialiste ? Récupourrie, discriminante ? Rétrograde, raciste, injuste, illégitime ? Ou plus simplement : carte du monde fausse ?

Planisphère périmée ?

Planisphère des inconscients ?

La cartographie sert surtout l’impérialisme, transformons-la en outil de justice !